samedi 14 février 2009

Rencontre-débat Patrimoine et mondialisation - librairie Tekhne (2 février 2009)

Présentation du contenu du livre


par Anne Hertzog


L’ouvrage présenté peut dérouter par son contenu disparate : 12 analyses à partir de terrains variés, traitant de différents niveaux d’échelle, envisageant la notion de patrimoine sous des angles divers, celui des musées, celui des monuments ou encore des grandes expositions, abordant à la fois la question des usages, des institutions, de la numérisation…

C’est que la confrontation de ces deux notions, « patrimoine et mondialisation » s’appréhende à travers des dimensions multiples, que le livre s’efforce de saisir tout en ouvrant des perspectives.

Mondialisations. Au-delà de leur diversité, l’ensemble des contributions montrent que la production des patrimoines est aujourd’hui un phénomène à la fois mondialisé et mondialisant : l’extension de la notion même de patrimoine (que l’on peut assimiler à un rapport particulier au passé historiquement et socialement construit), suppose un certain rapprochement des pratiques de part le Monde, et renvoie à une forme de mondialisation culturelle. L’internationalisation de certains grands musées qui fait naître de nouvelles formes d’échanges entre institutions ou l’émergence de la notion de patrimoine mondial de l’Humanité, qui introduit l’idée d’une communauté de valeurs universelles partagées par l’ensemble des peuples, en constituent également des manifestations évidentes, largement abordées dans le livre.
Plus généralement, l’ouvrage montre que les usages, les pratiques et les représentations associées aux productions patrimoniales constituent l’une des dimensions contemporaines de la mondialisation. Cet ensemble de processus complexes et multidimensionnels, accéléré par la modernisation des moyens de communication et d’information, met les espaces et les sociétés de la planète en relation - tout en avivant dans le même temps la conscience de l’altérité et de la diversité.

Interprétations. La mondialisation est suscitée et vécue par les acteurs sociaux : certains ont la capacité de l’impulser, l’organisent, quand d’autres subissent les effets de l’intensification des échanges, qui intègrent très inégalement les lieux et les peuples. Aussi la mondialisation suscite-t-elle des interprétations divergentes et des réactions (crainte, sentiment d’exclusion ou de marginalisation) à l’origine d’une part de nouveaux discours identitaires lesquels redéfinissent certains usages du patrimoine, d’autre part de vifs débats sur la « marchandisation » de la culture ou l’uniformisation culturelle des sociétés « globalisées ».

Standardisation. L’internationalisation de certaines normes se traduit par la diffusion mondialisée de certaines pratiques de conservation, d’exposition ou encore de valorisation des patrimoines. Plusieurs contributions le montrent à partir de l’exemple des musées dont certains déploient des stratégies de développement à l’échelle du Monde. L’adoption de pratiques commerciales identiques ou encore le caractère inflationniste des grands événements (expositions) témoignent d’une standardisation – bien réelle – des formes de gestion et de promotion du patrimoine dans le Monde.

Occidentalisation. Le phénomène d’uniformisation est souvent associé à une supposée « occidentalisation », voire à une « américanisation » du monde. Cette interprétation de la mondialisation, qui trouve un large écho en Europe et qui est le plus souvent exprimée sur le ton de la défiance ou de l’accusation, se sert souvent des signes les plus visibles d’un rayonnement « agressif » de la culture étatsunienne. Les contributions réunies dans cet ouvrage mettent en lumière quelques manifestations bien réelles de l’imprégnation par les conceptions nord américaines des pratiques contemporaines de conservation et de valorisation du patrimoine, notamment en Europe. Elles soulignent notamment le déploiement sans précédent de stratégies qui tendent à brouiller la frontière entre établissements publics et industries culturelles.
Mais dans le même temps, l’ouvrage permet de dépasser la thèse simplificatrice de « l’impérialisme » culturel occidental ou américain et questionne plus qu’il affirme cet « effet de domination ». Plusieurs articles mettent en évidence la séduction exercée par les modèles culturels nord-américains, fondée sur des valeurs partagées comme la démocratie ou la notion de diversité culturelle, et la la volonté – plus ou moins assumée – de s’approprier certaines pratiques.

Circulation. Réfutant la thèse quelque peu simpliste d’un rapport de force entre culture « dominante » (occidentale et dans ce cas, européenne) et « dominée », lequel se traduirait par un processus d’homogénéisation, l’ouvrage montre que les échanges et emprunts réciproques conduisent dans le même temps à plus de diversité. La diffusion – mais peut-être faudrait-il plutôt parler de circulation – de normes culturelles (car les échanges ne s’opèrent jamais à sens unique) s’accompagnent toujours d’ajustements locaux qui contribuent à diversifier les pratiques.

Diversité. Par ailleurs, depuis les années 1980, l’émergence d’une interprétation de la mondialisation comme processus aux effets nivelant et appauvrissant pour les cultures locales a pour effet la construction d’un nouveau paradigme : celui de la diversité culturelle. Certaines contributions reviennent ainsi sur la promotion de l’ « exception culturelle » ou de la « diversité culturelle » notamment par de nouveaux acteurs comme l’Union Européenne. L’une d’elle étudie ainsi les enjeux de la numérisation d’un patrimoine européen, outil de promotion de la diversité culturelle dont les enjeux sont également politiques et économiques.
La mondialisation et ses interprétations, surtout celles fondées sur l’idée d’une homogénéisation nourrissent un mouvement généralisé de production et, en même temps, de diversification des patrimoines.
Coordination. Dans le nouveau contexte de la mondialisation, les problèmes de coordination et de repositionnement des différents acteurs intervenant dans le champ patrimonial se posent avec une acuité nouvelle.
Avec l’émergence de conceptions et d’acteurs intervenant à d’autres échelles – locales et supranationales – le lien entre patrimoine et souveraineté nationale est remis en question. En dépit de sa perte d’influence, le rôle de l’Etat n’est pas pour autant obsolète puisque le patrimoine valorisé par les collectivités locales et les institutions internationales (Unesco) est celui-là même qui a été produit au niveau central. De plus, des normes protectrices contraignantes créées par les Etats continuent à orienter les actions menées à l’échelle locale ou au sein des organisations internationales. Des formes inédites de coordination et de partenariats entre acteurs publics et privés soulèvent des questions nouvelles en termes de gestion et de valorisation patrimoniale.

Universalisme/relativisme. Les organisations supranationales type ICOM sont partagées entre la défense de conceptions universalisantes et la promotion de la diversité culturelle. Aussi oscillent-elles entre universalisme et relativisme : chargées d’instaurer des normes de bonne pratique uniformément applicables, elles sont aussi appelées à prendre en compte les particularismes nationaux, régionaux ou même locaux. Ce « dilemme » comme l’ont qualifié certains auteurs est révélateurs des tensions suscitées par la mondialisation.

Patrimoine mondial. L’universalisation de certains principes, notamment exprimée dans un certain nombre de Conventions mondiales (Unesco) se heurte au caractère international et non pas supranational des institutions chargées de les mettre en œuvre.
A l’autre bout de l’échelle, les demandes de labellisation de lieux par les acteurs territoriaux montrent qu’ils se saisissent d’opportunités de développement dans un contexte de luttes d’influence et de compétition avivée par la mondialisation : plusieurs contributions analysent ainsi les enjeux locaux d’un système de protection et de valorisation du patrimoine pensé à l’échelle mondiale.

Débat. Je crois que le livre ouvre des perspectives nombreuses … nous attendons donc beaucoup de nos invités, qu’ils nous livrent leur lecture et leur vision des questions que nous abordons.

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